Portrait de femme: Éva Circé-Côté

22 mars, 2021

Nouvelle

Ses contemporains ignorent que le libre-penseur qui, dans les journaux, dénonce la corruption municipale, prêche la tolérance envers la prostitution et réclame l’équité salariale est une femme. Ses pseudonymes: Colombine, Musette, Jean Nay, Fantasio, Arthur Maheu, Julien Saint-Michel, Paul S. Bédard.

Son vrai nom : Éva Circé-Côté

Éva Circé-Côté, journaliste, écrivaine et bibliothécaire est née le 31 janvier 1871 à Montréal et est décédée le 4 mai 1949 à Montréal. Aussi poète et dramaturge, Éva Circé-Côté est la toute première bibliothécaire de la Ville de Montréal ainsi que la conservatrice de la prestigieuse collection Philéas Gagnon. Au cours de sa carrière journalistique, elle rédige plus de 1800 textes dans une dizaine de journaux, sous plusieurs pseudonymes masculins. Progressiste et laïque, elle milite pour l’éducation obligatoire et l’avancement de la condition des femmes. Au fil des ans, dans des centaines de chroniques publiées dans la presse radicale, Éva Circé-Côté a défendu des idées qui heurtaient les bien-pensants, notamment le droit au travail des femmes, la réglementation de la prostitution, l’instruction obligatoire et laïque, et surtout, la liberté de pensée. 

Ses combats contre l’ignorance et l’intolérance, elle les a aussi menés en fondant un lycée laïque pour les filles en plein cœur du Quartier latin, à deux pas de ce qui est alors la cathédrale de la ville et en contribuant à mettre sur pied la Bibliothèque municipale de Montréal. Elle s’est aussi faite connaître en signant la biographie de Papineau, en hommage à son héros, patriote et incarnation des idées libérales. 

Lorsque son mari, Pierre-Salomon Côté, meurt prématurément en 1909, il est connu comme le médecin des pauvres. Selon sa volonté, elle le fait incinérer. Ce n’est pas commun dans le monde catholique. Scandale à nouveau. Devant cette femme, l’Église et les bien-pensants étouffent de rage. Dans Le Monde ouvrier, elle ira jusqu’à préconiser une rééducation populaire, en marge de l’Église, afin de « ne plus se laisser enrôler ».

C’est à elle, dans une large mesure, qu’on doit l’établissement d’une première bibliothèque publique à Montréal. L’édifice de granit gris, situé rue Sherbrooke, baptisé désormais du nom de Gaston Miron, elle l’anime au meilleur d’elle-même, durant des années. Jusqu’à en être congédiée. En 1903, à l’âge de 32 ans, cette femme à la forte personnalité est d’abord nommée première bibliothécaire de la Bibliothèque technique. La censure règne. L’Église se méfie des livres, les dénonce, les semonce. Les autorités publiques voient d’un mauvais œil que les bibliothèques deviennent accessibles à tous. Éva Circé-Côté va compter, pour beaucoup, dans la mise sur pied et le développement de la bibliothèque publique qui s’installe enfin devant le parc La Fontaine en 1917. Pour valoriser cette bibliothèque qui manque de tout, elle va écrire dans les journaux, usant toujours de pseudonymes. À la bibliothèque même, elle défend l’accès aux livres pour les enfants. L’importance des livres pour les enfants paraît alors telle une hérésie dans un espace interdit à toute forme de bruit.

Elle prend la défense des femmes, des écrivains, des ouvriers, des immigrants, des juifs pourchassés en raison de leur religion. Lors de ses sorties publiques, Circé-Côté défend aussi la place d’un art nouveau dans la société : le cinéma. Elle parle tout aussi volontiers des Autochtones, disant à quel point leur héritage n’est pas à cacher, comme on le fait volontiers, mais à célébrer. 

« L’écrivain ne vit pas que de fleurs de théorique et de clairs de lune, mais de pain aussi. Abstrait par son art des réalités de la vie, il faut qu’une providence tangible veille sur lui comme sur l’oiseau. La nécessité d’une injection de sang nouveau s’impose dans ce corps languissant », afin que jaillissent « demain des véritables ouvriers d’art. »

Éva Circé-Côté

Si en 1949 cette femme « est morte presque dans l’oubli », elle est loin d’être ignorée désormais. Les féministes s’y sont très tôt intéressées. Biographe d’Éva Circé-Côté, l’historienne Andrée Lévesque, professeure émérite de l’Université McGill, a fait plus que quiconque pour faire connaître cette femme. En entrevue au Devoir, elle explique avoir ignoré un bon moment qui elle était vraiment. 

« Je lisais des textes signés du nom de Julien Saint-Michel dans le journal Le Monde ouvrier. “En voilà enfin un qui a de l’allure”, me disais-je ! Je citais Julien Saint-Michel dans mes livres… Puis, j’ai appris que c’était en fait une femme. Ce fut une révélation ! » Tout intéresse Éva Circé-Côté, explique sa biographe. « Elle parle aussi bien de la corruption, de la bureaucratie, que des grèves ou des figures politiques. »

Andrée Lévesque

Au début du XXe siècle, peu d’avenues s’offraient à celles qui voulaient s’exprimer sur la place publique et influencer le cours des choses. Éva Circé-Côté appartient à cette cohorte de femmes, peu nombreuses, qui choisirent le journalisme comme média de prédilection pour faire avancer la cause des femmes.

Pièces de théâtre

  • 1903 : Hindelang et DeLorimier (drame historique, cinq actes)
  • 1904 : Le Fumeur endiablé (comédie, 1 acte)
  • 1921 : Maisonneuve (drame historique, 4 actes)
  • 1922 : L’Anglomanie (comédie, 3 actes, prix de l’Action française)

Poésie

  • 1903: Bleu, Blanc, Rouge. Poésie, paysages, causeries. (recueil de poèmes et d’essais, sous le pseudonyme Colombine), Déom Frères éditeurs, Montréal, 1903

Essai

  • 1924 : Papineau, son influence sur la pensée canadienne; essai de psychologie historique (essai), Ève Circé-Côté (éditeur), R.A. Regnault & cie imprimeurs, Montréal, 1924. Réédition : Lux, Montréal, 2002, 266 pages.

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