Portrait de femme: Dr. Emily Howard Stowe

27 juillet, 2020

Nouvelle

Première directrice d’une école publique en Ontario, première Canadienne à pratiquer ouvertement la médecine, cofondatrice de la Canadian Women’s Suffrage Association, Emily Howard Stowe fut incontestablement une pionnière canadienne. 

Emily Howard Stowe est née le 1er mai 1831 dans le canton de Norwich. Elle devient institutrice à Summerville à l’âge de 15 ans et y enseigna durant sept ans. Le combat public d’Emily Howard Stowe pour l’égalité des sexes commença en 1852, soit au moment où elle voulut s’inscrire au Victoria College de Cobourg. Refusée parce qu’elle était une femme, elle présenta une demande d’admission à la Normal School à Toronto. Elle commença ses cours en novembre 1853 et obtint son diplôme en 1854. Engagée comme directrice d’une école publique de Brantford, elle y enseigna jusqu’à son mariage en 1856.

Au milieu du XIXe siècle, dans le Haut-Canada (Ontario), les médecins ne gagnaient pas bien leur vie, et les femmes étaient exclues de la profession. Au Canada, les possibilités d’étudier la médecine étaient extrêmement limitées pour les femmes. Emily Howard Stowe fit (à une date incertaine) une demande d’admission à la Toronto School of Medicine, affiliée à la University of Toronto. Cependant, l’université n’admettait pas les femmes. En 1865, Emily décida donc d’aller aux États-Unis. Elle s’inscrivit au New York Medical College for Women, établissement d’enseignement de l’homéopathie. Elle reçut son diplôme en 1867.

Tout de suite après avoir reçu son diplôme, la docteure Emily Howard Stowe ouvrit un cabinet rue Richmond, à Toronto. Toutefois, elle ne se procura pas d’autorisation d’exercer. Les lois adoptées par l’Ontario en 1865 et en 1869 modifièrent la structure et la composition des bureaux d’autorisation de telle façon qu’il devint de plus en plus difficile pour les homéopathes et les éclectiques d’obtenir le droit de pratiquer. Apparemment, la docteure Stowe ne pouvait pas répondre aux exigences et pratiquait donc la médecine sans autorisation. Elle fut accusée en 1869 d’avoir pratiqué un avortement. Après un long procès au cours duquel le tribunal mit ses compétences à l’épreuve et convoqua des membres de l’establishment médical de Toronto pour qu’ils témoignent au sujet de sa réputation, de sa compétence et de sa conduite professionnelle, elle fut acquittée.

Le 16 juillet 1880, le College of Physicians and Surgeons of Ontario décerna soudainement un permis à Emily Howard Stowe. La docteure Stowe se présentait comme spécialiste des maladies des femmes et des enfants. Elle défendait avec fermeté les intérêts des femmes. Pendant ses études à New York, elle soigna un grand nombre de femmes à l’hôpital ou chez elles et insista sur la nécessité de former des femmes médecins pour soigner les patientes. 

Emily Howard Stowe pratiquait l’égalitarisme dans sa vie personnelle. Elle et son mari étaient des partenaires égaux. De même, ses interventions publiques s’inspiraient d’un souci d’égalité. Les luttes qu’elle menait pour sa propre carrière s’inscrivaient dans un engagement global en faveur de l’accès des femmes aux études. Elle travailla sans relâche pour l’admission des femmes dans les écoles de médecine. En mai 1869, elle prononça au Toronto Mechanics’ Institute une conférence sur les femmes médecins dans laquelle elle affirmait : « la femme, en tant que mère de l’espèce, a des responsabilités plus vastes qu’elle n’en a conscience ». En 1879, lorsque sa propre fille, Ann Augusta, décida de suivre ses traces, elle multiplia les pressions pour la faire entrer à la University of Toronto. Ann Augusta deviendrait en 1883 la première femme à recevoir un diplôme de médecine au Canada. Emily Howard Stowe participa au débat qui se tint alors sur l’accès des femmes aux études de médecine et contribua à la fondation du Woman’s Medical Collegede Toronto en 1883. 

Au nom de l’égalité, la docteure Stowe avançait que le plus important était de garantir aux femmes la même qualification qu’aux hommes. Contrairement à certaines de ses collègues de travail, Emily Howard Stowe ne croyait pas que la femme avait une quelconque nature spéciale. Elle écartait l’idée selon laquelle les sentiments sont le domaine privilégié des femmes et défendait régulièrement leur aptitude à étudier les mathématiques et les sciences aux côtés des hommes. 

C’est sous la tutelle de Clemence Sophia Lozier, réputée pour ses prises de position en faveur du suffrage féminin et de l’émancipation des Noirs, qu’Emily Howard Stowe s’était engagée fermement pour l’équité. Son action politique serait animée par le souci de veiller à ce que les femmes bénéficient des mêmes services que les hommes. Dans les années 1870, quand les Canadiennes embrassèrent la cause de l’éducation, du droit de vote et de la tempérance, lançant ainsi ce qui allait devenir le mouvement féministe canadien de réforme, elle devint l’une de leurs principales organisatrices. En 1877, au retour d’une assemblée de l’American Society for the Advancement of Women tenue à Cleveland, dans l’Ohio, elle fonda le Toronto Women’s Literary Club. Ce cercle entendait promouvoir le développement intellectuel des femmes et leur accès aux études supérieures. En outre, elles soutenaient que la privation du droit de vote avait un effet négatif sur les possibilités d’emploi offertes aux femmes et sur leurs conditions de travail. Au fil des ans, le Toronto Women’s Literary Club promut de plus en plus ouvertement les droits des femmes, surtout le droit de vote. En 1883, il se réorganisa et prit le nom de Canadian Women’s Suffrage Association. Emily Howard Stowe devint alors l’une des vice-présidentes de l’organisation.

Emily Howard Stowe est connue surtout pour ses luttes en faveur des droits civils. Elle fit campagne pour que les femmes aient les mêmes droits de propriété et de vote que les hommes. Elle contribua à l’adoption par l’Ontario, en 1884, du Married Women’s Property Act, qui plaçait les conjoints sur un pied d’égalité quant aux biens qu’ils détenaient séparément. À compter de 1885, la Canadian Women’s Suffrage Association perdit de la vigueur parce que, selon Emily Howard Stowe, elle avait commencé à « admet[tre] comme membres des gens du sexe opposé, ce qui avait un effet démoralisant ». « [La] vieille idée de la dépendance féminine s’est insinuée [parmi nous], disait-elle, et les dames se sont mises à compter sur les messieurs plutôt que sur elles-mêmes. » Emily Howard Stowe donna un deuxième souffle à l’association en invitant le docteur Anna Howard Shaw, partisane américaine du suffrage féminin, à prendre la parole au Canada. Ce fut à la suite de cette allocution, présentée le 31 janvier 1889, que naquit une organisation nationale, la Dominion Women’s Enfranchisement Association. Elle en devint la première présidente, fonction qu’elle exercerait jusqu’à sa mort. À ce titre, elle dirigea une délégation qui alla réclamer le droit de vote au Parlement de l’Ontario et convoqua tous les groupes canadiens de pression pour le suffrage féminin à un congrès qui eut lieu à Toronto en 1890. En février 1896, elle joua un rôle très important au simulacre de parlement organisé à Toronto afin de dénoncer et de parodier les inégalités dont les femmes étaient victimes sous le régime gouvernemental et judiciaire du Canada.

Les arguments d’Emily Howard Stowe en faveur du suffrage féminin reflètent le double principe qui animait le mouvement des femmes du Canada à la fin du XIXe siècle: équité et défense du rôle maternel. Bien qu’elle ait tenu à ce que les femmes puissent participer à la vie publique sur un pied d’égalité avec les hommes et qu’elle ait rejeté toute prétention selon laquelle la femme avait une nature spéciale, elle affirmait le caractère sacré et la valeur du travail domestique. Maintes fois, elle souligna que, en tant que mères, les femmes avaient, face à l’espèce humaine, des responsabilités dont elles-mêmes ne mesuraient pas toute l’ampleur. Elle ne prônait donc pas l’émancipation et l’éducation des femmes uniquement au nom de l’équité, mais aussi parce qu’elle croyait que les filles devaient avoir de l’instruction pour bien jouer leur rôle au foyer et que le travail en usine ne les préparait pas à assumer leurs fonctions d’épouse et de mère. Convaincue que, « de toutes les occupations qui font partie du lot des femmes, la tenue d’un foyer est celle qui est la plus importante et qui a la plus grande portée sur l’humanité », elle prônait la rémunération du travail invisible. Réformiste sociale autant que politique, elle reliait constamment la cause du suffrage, de l’instruction et du travail en faisant valoir que la réforme restait irréalisable « tant que la femme n’aura[it] pas sa place dans le corps social et politique ». En parlant de la « sphère féminine » à Toronto ou à Brantford, elle dénonçait la condition à laquelle les femmes avaient été réduites et réclamait qu’elles puissent s’instruire pour que les inégalités cessent.

Les prises de position d’Emily Howard Stowe en faveur des droits maternels, des droits de propriété et des droits civils des femmes correspondaient à celles des mouvements de femmes au Canada à la fin du XIXe siècle. Il en était de même des méthodes qu’elle utilisait. Contrairement à leurs consœurs américaines, les militantes canadiennes recouraient rarement à la désobéissance civile ou aux protestations publiques. Elle faisait plutôt circuler des pétitions, exerçait des pressions, prononçait des discours et envoyait des lettres aux journaux ; elle signa une série d’éditoriaux du pseudonyme « xyz ». 

Bien qu’elle ait été l’une des grandes figures du mouvement canadien des femmes, Emily Howard Stowe différait dans une certaine mesure de ses compagnes de lutte. Sa décision d’exercer la médecine sans autorisation dénotait de la désinvolture à l’égard des subtilités juridiques. Son attitude et la détermination avec laquelle elle poursuivait son chemin n’inspiraient pas toujours de l’admiration aux autres réformistes canadiennes. 

« Ma carrière a été marquée par bien des luttes et par ces persécutions que subit habituellement quiconque lance un nouveau mouvement ou s’écarte des conventions. »

Emily Howard Stowe

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