Lettre ouverte: Remercier c’est bien, valoriser c’est mieux
Le 6 avril 2021 marque la 21e Journée du travail invisible, une initiative portée par l’Afeas depuis 2001 et plus actuelle que jamais.
Le travail invisible, non rémunéré ou sous-payé a été plus que jamais rendu visible par le confinement, la fermeture des écoles et des commerces, la charge supplémentaire de travail pour les parents comme pour les personnes proches aidantes et l‘urgent besoin de personnel dans les services essentiels comme ceux de l’éducation et de la santé. Alors que ce travail a été souligné à grands coups de remerciements et de métaphores, l’Afeas et le Comité inter-associations pour la valorisation du travail invisible (CIAVTI), une coalition de 11 organisations, demandent que l’on passe enfin de la parole au geste et que les gouvernements fassent officiellement du premier mardi d’avril la Journée nationale du travail invisible.
Un travail essentiel mais invisible
Le travail invisible comprend le travail accompli au sein de la famille et auprès des proches ainsi que le bénévolat réalisé dans la communauté. Ce sont les soins apportés aux enfants et aux proches malades, âgé·e·s ou en perte d’autonomie, que ce soit au niveau de l’aide aux devoirs, de la gestion des finances, des tâches domestiques, de la présence aux rendez-vous médicaux et plus encore.
Colmatant les brèches laissées ouvertes par les systèmes publics, le travail invisible joue un rôle essentiel dans l’économie du pays en permettant à de nombreuses organisations et institutions tout comme aux gouvernements de poursuivre leur mission en minimisant leurs coûts. Que ce soit en s’impliquant comme bénévole dans un CHSLD, en prenant soins de proches malades ou en perte d’autonomie qui autrement seraient pris en charge par l’État ou en offrant de l’aide aux devoirs pour pallier les lacunes du système scolaire, les personnes qui effectuent du travail invisible – dont une importante majorité de femmes – jouent un rôle essentiel au bon fonctionnement de la société.
Un enjeu multi-facettes
Malheureusement, alors qu’il profite aux autres, le travail invisible est souvent réalisé au détriment de l’épanouissement personnel, professionnel, social et économique de la personne qui l’effectue, ce qui augmente le risque de se retrouver en situation de précarité. Comme les femmes effectuent davantage de travail invisible que les hommes – les femmes et les filles effectuent plus des 3/4 du travail de soin non rémunéré dans le monde – il s’agit évidemment d’un enjeu essentiel pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
De plus, au-delà de sa dimension genrée, le travail invisible touche les femmes de façon différente : les femmes immigrantes prennent souvent en charge l’intégration de la famille à la communauté d’accueil, les étudiantes doivent concilier travail, famille et études, les agricultrices s’impliquent souvent bénévolement dans la ferme familiale sans être protégées légalement, les proches aidant·e·s engagent souvent d’importantes dépenses pour soutenir la personne aidée, etc. Il s’agit donc non seulement d’un enjeu d’égalité entre les hommes et les femmes mais également entre les femmes.
De la parole aux actes
Ainsi, le travail invisible est sur le radar des groupes et des personnes soucieuses d’égalité depuis des années. Mais il est également sur celui des gouvernements qui ne l’ont pas découvert avec la pandémie et les « anges gardiens ».
En effet, en 1995 le Canada s’est engagé, lors de la Conférence internationale sur la situation de la femme organisée à Beijing par l’Organisation des Nations Unies (ONU), à inclure la valeur du travail invisible dans le calcul du PIB. Quelques années plus tard, en 2010, la Chambre des communes adopte à l’unanimité une motion créant la Journée nationale du travail invisible, une initiative de la députée Nicole Demers. À ce jour, ces deux engagements n’ont pas été respectés.Plus récemment, en mars 2020, le Cercle des femmes parlementaires a déposé une motion pour que l’Assemblée nationale demande au gouvernement de s’engager à valoriser toute forme de travail invisible et de prendre les mesures nécessaires afin de contrer les stéréotypes qui perpétuent l’iniquité homme-femme dans ces tâches invisibles.
Si les remerciements font chaud au cœur et si les engagements donnent espoir, les actions elles, donnent des résultats. C’est pourquoi en cette 21e Journée non officielle du travail invisible nous demandons – une fois de plus – aux gouvernements de décréter officiellement le 1er mardi d’avril Journée nationale du travail invisible. Cela constituerait un premier pas vers une reconnaissance effective du travail invisible et, nous l’espérons, la mise sur pied de mesures économiques, sociales et fiscales concrètes pour soutenir les personnes qui l’accomplissent.
Signataires
Aoura Bizzarri, directrice générale du Collectif des femmes immigrantes du Québec, Camille Robert, historienne, Claire Tousignant, co-fondatrice de la Jeune chambre de commerce des femmes du Québec (JCCFQ) et membre du CA, Denise Byrnes, directrice générale d’Oxfam-Québec, Djenabou Sangare, coordonnatrice aux activités et à la mobilisation pour le Rafiq, Emilie Dumas, directrice générale adjointe du Regroupement des aidants naturels du Québec (RANQ), Jeannine Messier, présidente des Agricultrices du Québec, Jessica Bourque, 2e vice-présidente du Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), Kim Paradis, directrice générale du Conseil d’intervention pour l’accès des femmes au travail (CIAFT), Linda Crevier, présidente du Réseau des Tables régionales de groupes de femmes du Québec, Lise Courteau, présidente provinciale de l’Afeas, Nathalie D’Amours, gestionnaire déléguée de Famille Point Québec et Nicole Demers, ex-députée de Laval – Bloc québécois